La Cité de Dieu
Réédité en version intégrale voici quelques mois, La Passion des Anabaptistes, du scénariste David Vandermeulen et du dessinateur Ambre est un objet doublement détonnant.
Par son sujet d’abord. L’album évoque en effet le bouillonnement de la réforme dans l’Allemagne du XVIe siècle, et en particulier l’épopée des anabaptistes de Münster. Cette frange radicale s’opposa au pouvoir politique et religieux en Westphalie, allant jusqu’à instaurer une théocratie millénariste en la bonne ville de Münster (1534-1535). L’Allemagne du début du XVIe siècle est marquée par des révoltes paysannes qui contestent l’autorité seigneuriale et désirent imposer sur Terre la justice d’inspiration « divine », plus égalitaire, que promet la Bible, tandis que des prédicateurs révolutionnaires s’opposent à l’Église catholique, jugée corrompue. Le récit entremêle la vie de Martin Luther avec le destin de trois personnages historiques (Joss Fritz, meneur d’une révolte populaire ; Thomas Müntzer, prêcheur révolutionnaire tour à tour proche puis opposé à Luther ; et Jan van Leiden, souverain messianique et illuminé de Münster). Temps troublés, bouleversements et controverses théologiques, fanatisme religieux, troupes de lansquenets contre armées de « rustauds » se déploient au fil des pages de cette passionnante et peu commune évocation historique.
Graphiquement ensuite, l’album est un véritable diamant noir. Alternant planches dessinées et pages de texte – dont la maquette imite les premiers ouvrages imprimés (lettrines, culs de lampe et feuilles aldines compris) –, l’objet livre est superbe. Quant au dessin au trait noir, il est tout simplement splendide. S’inspirant manifestement des œuvres de Dürer ou Holbein, on pourra aussi déceler ici et là des détails, des attitudes, des compositions puisés dans les retables anciens. Les visages des personnages semblent sortir aussi bien du cinéma expressionniste que des toiles de Bosch ou Breughel (les traits d’un protagoniste, Joss Fritz, semblent même inspirés de ceux de l’acteur Klaus Kinski, « gueule » s’il en est).
Si l’ouvrage semble peu adapté à l’évocation des réformes en classe de 5e, tant par son contenu trop complexe que par son graphisme ou sa narration, il peut en revanche servir en 2de pour évoquer les bouleversements religieux de l’Europe du XVIe siècle. Quoi qu’il en soit, l’historien amateur de romans graphiques sera comblé par cette « œuvre au noir ».
Informations
- David Vandermeulen (scénario)
- Ambre (dessin)
- Éditions 6 pieds sous terre
- 2017
- 240 p., 35 €